Article publié sur le site www.lesechos.fr le 27 avril 2015 : lien
L’annonce de l’achat de 50 hélicoptères par la Pologne auprès du groupe Airbus Helicopters est inédite dans l’histoire militaire du pays, qui a toujours privilégié les équipements américains.
Le 21 avril 2015, les autorités polonaises ont annoncé en filigrane entrer en négociation exclusive avec Airbus Helicopters (AH) pour l’achat de 50 hélicoptères. Varsovie a retenu le Caracal pour un contrat qui devrait être finalisé fin 2015 pour un montant d’environ 2,5 milliards d’euros. Si une telle transaction est une excellente nouvelle pour AH, elle est aussi surprenante qu’inédite. Malgré notre présence à l’Eurosatory où des signaux avaient pourtant été lancés et où AH se montrait déjà confiant, nous n’y croyions pas.
La Pologne a toujours privilégié les équipements américains depuis la chute du communisme. En effet, la seule menace réelle et immédiate de la Pologne n’est autre que la Russie. Pour les Polonais, une seule puissance est en capacité de les défendre : les États-Unis. Il est remarquable que les stratégies polonaises et américaines face à « l’ogre russe » soient en tous points identiques. En une phrase, il s’agit de priver la Russie de toute ambition « impériale »». C’est d’ailleurs un Américain d’origine polonaise et conseiller à la sécurité nationale du Président J. Carter qui l’a largement inspirée : Z. Brzezinski.
Le choix des hélicoptères d’AH plutôt que ceux de l’Américain Sikorsky est donc sans précédent. Et ce, d’autant que l’autre groupe européen, l’italien Augusta-Westland, n’a pas été sélectionné non plus, alors que celui-ci a ouvert depuis 2010 en Pologne une usine de production d’hélicoptères Sokol, vendus à l’armée polonaise. Pour rappel, la Pologne n’avait commandé à la France que 54 millions d’euros de matériel militaire entre 2009 et 2013. Il est intéressant de noter que la presse polonaise fait ses titres sur les hélicoptères français (et non européens). Que s’est-il donc passé pour que les Polonais n’achètent ni américain ni même européen, mais français ?
1. Des promesses industrielles engageantes
L’appareil d’AH présente sans doute les caractéristiques techniques les plus adaptées à la demande polonaise. Mais AH a dû aussi s’efforcer de jouer la carte industrielle. Le constructeur compte faire de la Pologne, l’un de ses piliers, et a proposé d’associer à ce contrat de futurs partenariats industriels. Si les rumeurs de rachat de 1 à 2 % d’Airbus par l’État polonais n’ont pas encore eu de suite, AH a affirmé que si le contrat venait à être signé, une chaîne d’assemblage employant plusieurs milliers de personnes serait implantée à Lódz, ville dont la maire est une figure montante du parti du gouvernement.
Lódz n’étant pas un bassin traditionnel de l’aéronautique, ce choix est surprenant.
Nous avons constaté sur le terrain que la ville subit depuis de nombreuses années une désindustrialisation massive et pâtit de la proximité de Varsovie. Si le choix de Lódz relève probablement de la stratégie de séduction d’AH, il résulte aussi de son partenariat avec l’Université Technique depuis 2006, classée parmi les premières du pays et ouverte à l’international. Par ailleurs, les deux concurrents ont réduit depuis plusieurs années leurs volumes d’investissements et de production en Pologne.
2) Des relations politiques et personnelles relancées depuis l’arrivée de François Hollande
Cette volonté de coopération à l’échelle européenne est également portée au plan politique. Fragilisées depuis 2003, lorsque J. Chirac avait affirmé à l’égard des pays favorables à la guerre en Irak qu’ils avaient « raté une occasion de se taire », les relations franco-polonaises se sont améliorées depuis l’arrivée de F. Hollande. D’aucuns ont noté que le seul chef d’État qui avait accepté de recevoir F. Hollande avant son élection fut le Président B. Komorowski. En outre, le ministre de la Défense J.-Y. Le Drian s’est rendu en Pologne 15 fois depuis mai 2012.
3) Un encouragement au changement de la politique française vis-à-vis de la Russie ?
Les Polonais ont peut-être aussi souhaité faire un geste vis-à-vis des Français, pour les encourager à renoncer définitivement à la livraison des Mistral à la Russie. On ne peut pas parler d’alignement sur les postions Polonaises, car ses dernières visent, in fine, à enlever toute ambition impériale à la Russie en la privant du contrôle de l’Asie Centrale (quasiment réussi) puis de l’Ukraine (en cours) et en faisant de la Sibérie une sorte de nouveau Far West (en l’occurrence Far East) européen. Mais il existe actuellement un réel fléchissement de la politique française à l’égard de la Russie.
Pour autant l’heure de l’Europe de la défense n’a pas sonné : si la Pologne a choisi les Caracal, elle a aussi sélectionné l’Américain Raytheon pour son système de défense antimissile. 4 milliards d’euros, soit le plus gros marché public de son histoire militaire. Au détriment du consortium européen MBDA-Thalès, qui aurait pourtant permis des investissements et des transferts de technologie.
Il faudra attendre l’issue du prochain programme d’achat polonais de 20 à 30 hélicoptères de combat (1 milliard d’euros) à la fin de l’année, pour confirmer ou infirmer le rapprochement actuel.