Article publié sur le site www.lesechos.fr le 27 mai 2015 : lien
L’Allemagne a certes délocalisé ou sous-traité une partie de sa production industrielle, mais grâce à la flexibilité du marché allemand, les industries ont pu conserver leur activité en Allemagne, en important leur main d’œuvre des pays low cost d’Europe centrale et orientale.
Depuis plusieurs années, le solde migratoire de l’Allemagne dépasse les 400 000 arrivées, en provenance d’Europe de l’Est et du Sud pour la plupart.
La France s’interroge depuis plusieurs années sur les méfaits de sa désindustrialisation progressive depuis 1980. Outre-Rhin en revanche, ce sujet est peu évoqué aujourd’hui : le débat a eu lieu il y a longtemps déjà, d’abord avec la réunification de l’Allemagne, puis ensuite avec l’entrée des pays de l’Est et du Sud européen dans l’UE (Pologne, République tchèque, Slovaquie, Roumanie, Bulgarie). En entrant dans le marché commun, les pays dits low cost aux frontières de l’Allemagne sont venus menacer sa compétitivité. Aussi, les entrepreneurs se sont-ils posé la question de la délocalisation de leur activité de production.
L’Allemagne a certes délocalisé ou sous-traité une partie de sa production industrielle, notamment dans les pays d’Europe centrale et orientale. Mais grâce à la politique de libéralisation du marché du travail du Chancelier Schröder et l’absence de salaire minimum national imposé, les industries à forte valeur ajoutée ont pu rester flexibles et conserver leur activité en Allemagne, en important leur main d’œuvre de ces pays low cost. Selon la Chambre de Commerce et d’Industrie allemande, une entreprise sur cinq cherche à employer au-delà de ses frontières. L’Allemagne a délocalisé chez elle !
Une stratégie économique préservant les secteurs clés de l’industrie allemande
L’économie allemande a trouvé plusieurs avantages à garder son outil de production sur le territoire national. Les Allemands se sont prémunis contre la crise qui frappe aujourd’hui les économies européennes et disposent encore de ce levier de croissance. De plus, les immigrés consomment, payent leurs impôts, cotisent à la sécurité sociale en Allemagne, engendrant des recettes supplémentaires pour l’État et les Länder. Enfin, si les salaires sont plus élevés que dans les pays dits low cost, ils restent moins élevés que ceux des Allemands. En 2013, les populations immigrées gagnaient en moyenne 28 % de moins que les Allemands.
Certains biais statistiques sont toutefois à considérer : la qualification moindre des travailleurs immigrés, la difficulté pour les employeurs allemands d’évaluer les compétences des travailleurs immigrés conduisant souvent au sous-emploi de ces derniers ainsi que leur mauvaise maîtrise de l’allemand. Le chiffre occulte également les disparités entre les travailleurs immigrés selon leur pays d’origine : les populations d’Europe occidentale et septentrionale touchent des salaires quasi équivalents aux salaires des Allemands, alors que les populations d’Europe orientale, d’ex-Yougoslavie et de Turquie gagnent entre 35 et 50 % de moins que les Allemands.
L’importation massive de main-d’œuvre : plus de 400 000 étrangers chaque année
Depuis deux ans, l’Allemagne est la deuxième terre d’émigration au monde après les États-Unis, accueillant aujourd’hui sur son territoire plus de 8 millions d’étrangers, et plus de 15 millions en prenant en compte les étrangers naturalisés. Si les Turcs et les Polonais demeurent les plus nombreux aujourd’hui (respectivement 1 527 000 et 674 000) les plus fortes poussées migratoires proviennent depuis quelques années de l’Europe du Sud et du Sud-Est.
Les Roumains et les Bulgares sont de plus en plus nombreux à arriver chaque année. Depuis l’entrée des deux pays dans l’UE, le nombre de Roumains outre-Rhin s’est multiplié par 6 et le nombre de Bulgares par 8. N’ayant pas encore publié les chiffres définitifs de l’année 2014, l’Office Fédéral des Statistiques allemand prévoit que les Roumains devraient avoir dépassé en nombre d’arrivées les Polonais en 2014, pourtant premiers chaque année depuis 1996. La mise en place de la liberté totale de circulation des travailleurs à l’intérieur de l’UE au 1er janvier 2014 pour les ressortissants des deux pays est sans nul doute l’une des causes d’un tel accroissement.
L’Italie, l’Espagne, la Grèce et la Croatie voient également leurs ressortissants émigrer de plus en plus en Allemagne. En 2013, le pays a accueilli plus de 60 000 Italiens, presque 45 000 Espagnols, 35 000 Grecs et plus de 25 000 Croates, soit 95 % de plus qu’avant l’entrée de la Croatie dans l’UE.
Aussi, l’Allemagne fait-elle « d’une pierre deux coups » : elle gagne d’une part en termes de rentabilité économique, et freine d’autre part son déclin démographique menaçant la croissance du fait du manque de main-d’œuvre ainsi que le financement de l’État.
L’introduction d’un salaire minimum depuis le 1er janvier 2015 et sa mise en place progressive d’ici 2017 interrogent à nouveau la stratégie allemande. Créé dans le but de réduire les écarts de revenus, le SMIC allemand fait débat dans les pays voisins. Quand bien même elle contraindra ces derniers à facturer leur activité en Allemagne au tarif allemand, une telle mesure ne devrait pas pénaliser à terme les pays dits low cost, lesquels auront connu d’ici là une croissance des salaires et des coûts qui permettra de maintenir leurs écarts avec l’Allemagne.