Article publié sur le site www.lemonde.fr le 22 juillet 2015 : lien
Les tensions entre agriculteurs, industriels de la transformation et groupes de la grande distribution s’éternisent, alors que les éleveurs réclament des prix indexés sur leurs coûts de production.
Les différents acteurs du marché ont rencontré le gouvernement, le président de la République appelle les grandes surfaces à augmenter les prix, mais rien n’y fait. En réalité, tous ces acteurs n’ont que peu d’influence sur les cours des matières premières, là est le problème. Si la colère des agriculteurs se concentre sur les distributeurs français, car ils constituent les cibles les plus facilement atteignables, il faut chercher les causes de la chute des cours du côté européen, et plus particulièrement allemand.
Nos éleveurs sont fragilisés par une rude concurrence allemande. L’Allemagne a transformé son agriculture en une industrie reposant sur l’automatisation, pour permettre des élevages à forte concentration, et ce malgré un traitement animal critiquable, afin d’obtenir un rendement deux fois supérieur à la France. En outre, les Allemands ne s’embarrassent pas d’une main-d’œuvre coûteuse. En 2013, selon notre filiale allemande, quelque 7 000 travailleurs détachés roumains, polonais et hongrois travaillaient dans les abattoirs allemands pour moins de 5 euros de l’heure.
Surproduction
Les abattoirs allemands imposent leurs prix à la France. Lorsque ces prix sont plus bas que les nôtres pour une qualité équivalente, il est difficile de reprocher aux acteurs français de la transformation de profiter du marché européen. Malgré tout, sous la pression physique, parfois « musclée », de certains agriculteurs désespérés, nos grandes surfaces se fournissent en France, contre les règles du capitalisme. Les Allemands se retrouvent en surproduction. Le différentiel entre les prix des deux côtés du Rhin est devenu trop important pour que les transformateurs français continuent leurs achats en dehors du bon sens, et surtout sans se mettre eux-mêmes en danger et se faire concurrencer sur leur propre marché par des acteurs européens.
Nous ne pouvons non plus abandonner des milliers d’agriculteurs à leur triste sort. Le gouvernement pourrait aider nos éleveurs à s’industrialiser et favoriser les élevages à forte concentration. Mais serait-ce efficace ? Il faudrait un quasi-plan Marshall : les exploitants accusent non seulement un important retard d’investissement, mais ils demeurent paralysés par leurs dettes. En augmentant le nombre de bêtes, les prix iront mécaniquement vers le bas. Il n’est pas certain que les retards accumulés sur l’Allemagne soient rattrapables.
La concurrence est rude, mais essentiellement sur le bas de gamme. Dans nos fermes, nous avons une traçabilité exemplaire. Nous avons des hommes et des femmes qui connaissent leurs bêtes et qui ont le savoir-faire pour passer à une production haut de gamme. Le problème est de mettre en place cette traçabilité jusqu’à l’assiette du consommateur. Il faut agir au niveau européen et légiférer sur la qualité du traitement animal dans les élevages par des labels de certification obligatoires.