Article publié sur le site www.latribune.fr le 4 septembre 2015 : lien
La course à la productivité et à l’industrialisation serait fatale aux producteurs de porc français. Ils doivent jouer la qualité. Mais pour que cela soit possible, pour que le consommateur choisisse en connaissance de cause les élevages raisonnés, il faut imposer au niveau européen un système de traçabilité et de certification obligatoire. Par Patrick Edery, PDG de Partenaire Europe
Voilà quelques mois que l’agriculture française se retrouve paralysée par une mobilisation générale des éleveurs. Le conflit s’enlise, opposant agriculteurs, industriels de la transformation et groupes de la grande distribution. Les éleveurs maintiennent leurs revendications, ils demandent l’indexation des prix sur leurs coûts de production. Le gouvernement est au centre de toutes les demandes, pourtant, la fixation des prix des matières premières n’est pas de son ressort. C’est la conjoncture internationale qui influe sur les prix, or la filière élevage pâtit d’une situation de surproduction aggravée par l’embargo russe.
L’agro-industrie allemande tire les prix à la baisse
L’agro-industrie allemande fournit du porc en surabondance, tirant les prix à la baisse, ce qui achève d’étouffer les éleveurs français. Mais alors pourquoi nos agriculteurs cherchent-ils à maintenir la pression sur un gouvernement qui n’a aucun pouvoir sur la fixation des prix ?
La situation de crise est en fait due à plusieurs facteurs. D’abord, les éleveurs français sont fragilisés par une rude concurrence allemande. L’Allemagne a transformé son agriculture en une industrie, reposant sur l’automatisation pour permettre des élevages à forte concentration afin d’obtenir un rendement deux fois supérieur à la France. La France n’a pas pris ce tournant, qui, dans le domaine, est une véritable rupture technologique.
Cela s’explique d’abord par un manque de clairvoyance et de moyens financiers mais aussi, dans certains cas, par la conviction que le vivant ne peut être considéré comme une simple marchandise dont on pourrait industrialiser la production.
En outre, en Allemagne, depuis la chute du mur, il a fallu faire face à la concurrence des pays d’Europe de l’est. La France, quant à elle, y est réellement confrontée depuis seulement 10 ans et, au contraire de l’Allemagne qui a « délocalisé chez elle » (en faisant par exemple venir la main d’œuvre roumaine dans ses abattoirs), elle n’a trouvé aucune parade.
Des coûts de production systématiquement inférieurs
En fin de compte, les coûts de production et de transformation du porc en Allemagne sont systématiquement inférieurs à ce qui se pratique en France. On comprend alors pourquoi le porc allemand est 20% moins cher que le porc français.
De fait, ce sont les abattoirs allemands qui imposent leurs prix à la France. Propriétaires des élevages à forte concentration, ils fixent les prix en Europe. Lorsque ces prix sont plus bas que les prix français pour une qualité équivalente, les acteurs français de la transformation achètent naturellement chez leurs voisins, malgré les pressions physiques de certains agriculteurs désabusés et les invocations du gouvernement, il s’agit pour eux d’une question de survie face à leurs concurrents européens qui regardent avec gourmandise le marché français.
Les agriculteurs devenus des fonctionnaires précaires sans statut
Mais alors pourquoi se retourner vers l’État et pourquoi ce dernier ne se déclare-t-il pas tout simplement incompétent en matière de fixation des prix ?
La raison principale se trouve dans la situation désespérée d’un grand nombre d’agriculteurs français mis sous pression. La France demande à ses agriculteurs de produire de la qualité à petits prix, le tout selon des exigences sanitaires et environnementales parmi les plus strictes d’Europe dont l’application est contrôlée par une administration qui ressemble de plus en plus à une armée mexicaine toujours plus inventive pour corseter la filière agricole de règlements sans cohérence.
L’État français ayant fait de ses agriculteurs des fonctionnaires précaires sans statut, il ne peut officiellement les abandonner aux aléas de la concurrence mondiale. De plus, au regard de la mauvaise santé de l’économie française et du mécontentement général, le gouvernement essaye de réduire au plus vite tous les foyers de contestation afin d’éviter une révolte qui se propagerait dans tout le pays. C’est la hantise du Président depuis son entrée en fonction. C’est pourquoi dès qu’une profession descend dans la rue, elle obtient souvent gain de cause et ce parfois au détriment de l’intérêt général.
Généraliser les process industriels: une fuite en avant catastrophique
Cherchant à étouffer l’incendie, François Hollande se retrouve à recueillir les doléances de la FNSEA, syndicat majoritaire dans la profession agricole, actuellement dirigé par M. Xavier Beulin. Celui-ci est à la tête d’une des plus belle réussite française de I’agro-industrie : le groupe Avril-Sofiprotéol qui réalise un chiffre d’affaire de plus de 7 milliards d’euros. Via sa filiale Sofiprotéol, le groupe accompagne les entreprises agricoles qui souhaitent s’industrialiser. Il n’est donc pas étonnant que la FNSEA propose d’engager un plan de modernisation des bâtiments, d’automatisation des abattoirs et de regroupements des exploitations. Dans une région comme la Bretagne, il sera difficile de faire autrement sauf à fermer de nombreuses exploitations. Mais à notre sens, la généralisation de cette solution serait une fuite en avant et mènerait à une catastrophe pour toute la filière en Europe.
Suivre l’Allemagne, c’est accroître la surproduction en Europe
En effet, prendre le même chemin que l’Allemagne aura pour résultat d’accroître la crise de surproduction en Europe, les prix ne pourront que continuer leurs baisse et, au final, les marges de tous les exploitants européens seront annihilées. Des solutions pérennes existent. L’urgence est de mettre un terme à cette course à la productivité, puisque la production abonde d’ores et déjà. Nous pourrions nous prendre à rêver que, tirant les leçons de l’échec grec, les héritiers de MM. Mitterrand et Kohl décident de mettre en place une nouvelle politique agricole commune afin de ne pas saper l’un des fondements historiques de l’Union Européenne.
Imposer au niveau européen un système de traçabilité
Aucun de nos pays n’a intérêt à une compétition qui résulterait à aggraver la situation de surproduction et à propager la crise au niveau européen. Face aux élevages à forte concentration, qui sont nécessaires, il faut aussi pouvoir soutenir les éleveurs qui accusent d’un retard d’investissement pour qu’ils se spécialisent dans une production moyen/haut de gamme. S’ils produisent moins, autant profiter du fait qu’ils produisent mieux, afin de proposer un produit qualitativement supérieur et donc plus rentable au moment de la vente.
Mais pour cela, il faut que ce type de production soit connu et reconnu par le consommateur. Il faut donc imposer au niveau européen un système de traçabilité et de certification obligatoire qui permette au consommateur de choisir en connaissance de cause entre les élevages industriels ou raisonnés. Ce serait aussi redonner du pouvoir au citoyen européen qui, même si les bêtes ne sont pas moins bien traitées en élevage industriel, a le droit d’être choqué qu’un être vivant ne voit jamais la lumière du jour de sa naissance à sa mort.