Post published on the website www.lesechos.fr on the 14th of October 2016 : link
L’Allemagne profite de sa collaboration avec la France pour sauver son industrie militaire et doper son excédent commercial… tout en se tenant à l’écart des terrains en conflits.
La Direction générale de l’armement (DGA) a fait son choix en septembre dernier. C’est le fusil d’assaut HK 416 de l’industriel allemand Heckler & Koch qui remplacera à l’avenir le Famas dans l’armée française. Ce n’est pas la première fois que les forces françaises se tournent vers le « made in Germany ».
Les exemples les plus récents sont le fusil d’assaut HK G36, les rangers du bavarois Haix, ou encore la fusion des constructeurs de blindés français et allemand : Nexter et Krauss-Maffei Wegmann. L’Allemagne s’impose sur le marché de l’armement français, permettant au pays de la rigueur budgétaire d’augmenter l’excédent de sa balance commerciale en ponctionnant notre budget de la Défense.
Un partenariat déjà-vu
Les ministres français et allemand de la Défense ont récemment publié des propositions pour une nouvelle Europe post-Brexit. Le coeur de ce document est le partenariat militaire pour la défense européenne , nouvelle priorité d’une Europe menacée et déstabilisée par des crises migratoires et un terrorisme latent.
On trouve parmi ces propositions la mise en place de « commandos sanitaires », la création d’un centre de recherche militaire commun, une coopération satellitaire pour des reconnaissances militaires ou encore la formation d’un État-major franco-allemand permanent, dont la pertinence, si on excepte un placard doré pour certains officiers, est plus que discutable.
Rien de nouveau sous le soleil donc, puisque la collaboration franco-allemande dans le domaine militaire est déjà organisée en ce sens avec une Brigade commune créée en 1989, l’Eurocorps, ainsi que des échanges et la formation commune de soldats (volet tactique en France et technique en Allemagne).
Soutien symbolique
Pour ce qui est de la proposition phare du couple ministériel, la formation d’un État-major permanent, elle est difficilement compréhensible compte tenu des différences de doctrines et d’emploi des forces des deux Etats, tant sur les opérations extérieures que sur le théâtre européen.
L’Allemagne se contente d’apporter son soutien, qui n’est bien souvent que symbolique, laissant les autres puissances, dont la France, mener le travail de terrain. Dès lors, quel intérêt à mettre ensemble des techniciens ayant des directives si différentes, dans des structures communes, existant déjà au sein de l’Otan ?
Il serait de bon sens de commencer par définir une politique extérieure commune, puis une politique de défense commune avant d’envisager des solutions techniques. Ces accords sans consistance semblent juste être une manière de détourner l’attention de l’accaparement par l’Allemagne d’une partie du budget de notre Défense.
Une collaboration fructueuse… pour l’Allemagne
Rappelons que la France consacre 2,1% de son PIB à la Défense, soit 47 milliards d’euros en 2015, contre seulement 1,2% pour l’Allemagne, qui se permet régulièrement de souligner notre laisser-aller budgétaire. Dès lors, on peut se demander comment un pays aussi peu engagé dans la Défense peut s’ériger en fournisseur militaire de premier rang. C’est là que réside le véritable hold-up allemand car, sans cet investissement français dans la Défense, l’Allemagne verrait son industrie militaire piquer du nez.
Il s’avère en effet que l’Allemagne profite de sa collaboration avec l’armée française. La fusion de Nexter et de Krauss-Maffei Wegmann tourne ainsi à l’avantage de la seconde, puisqu’elle peut désormais contourner le « véto » du gouvernement allemand sur les exportations d’armes vers certains pays jugés douteux. Elle met également à distance les soupçons de pots de vin versés au gouvernement grec lors d’une livraison de chars allemands.
L’achat par la France de 300 à 400 millions d’euros de fusils HK permet finalement de sauver le fabricant allemand alors même que les Français ont été incapables de sauver la Manufacture d’armes de Saint-Étienne. C’est elle qui a longtemps fabriqué les célèbres Famas français…
De même, le choix du fournisseur HK peut être discuté compte tenu de la polémique qui a défrayé la chronique en mars dernier : retirés de l’armée allemande à la suite de problèmes quant à leur utilisation, les HK G36 ont tout de même été retenus par la police française, et ce, malgré le message de la ministre allemande de la Défense énonçant les défauts de ces armes.
Partenariats inégaux
Les partenariats franco-allemands semblent d’autant plus inégaux que l’Allemagne est loin d’être un véritable allié sur le plan opérationnel. L’armée française, en plus de s’équiper chez des fournisseurs allemands en matériels d’équipement du fantassin, qui se renouvellent donc souvent, leur assurant un revenu récurrent, est la seule à monter au front et mener des opérations risquées.
On peut donc se demander légitimement quel intérêt la France a-t-elle à agir ainsi. A-t-on négocié en échange de laisser filer nos déficits budgétaires ? Mais alors, cela risque d’être un marché de dupes. Dans un contexte d’élections présidentielles et parlementaires en 2017, ces promesses n’engageront pas forcément les prochains dirigeants. Comme Chirac l’avait rappelé : «Les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent». Les contrats, par contre, resteront.