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Le Brexit va-t-il enfin sonner le glas d’une diplomatie française totalement désuète en Europe? Pour compter à nouveau en Europe, la France devrait se rapprocher de pays dont elle s’est progressivement éloignée, ceux du sud et de l’Est. Par Patrick Edery, PDG de Partenaire Europe
Le Brexit va-t-il enfin sonner le glas de notre diplomatie européenne désuète: la priorité, voire l’exclusivité, donnée au couple franco-allemand et à la fameuse «Europe des cercles concentriques» ? Si aujourd’hui il est encore difficile d’appréhender les conséquences du référendum britannique sur les interactions entre les membres de l’Union, il est quasi certain que la donne va changer sur l’échiquier européen. Quelle nouvelle direction prendra l’Union Européenne dans les années à venir ? Le Brexit sera-t-il l’occasion pour la France de se rendre compte que l’Allemagne n’a plus besoin d’elle, et qu’elle doit désormais redéfinir sa position ?
Une Europe des cercles concentriques?
La France et certains pays fondateurs (avec plus ou moins de convictions) encouragent aujourd’hui le développement d’une « Europe des cercles concentriques ». Cette proposition est soutenue par notre gouvernement, la quasi-totalité des hauts fonctionnaires et les politiques du Parti Socialiste et des Républicains, qui souhaitent profiter du Brexit pour relancer l’intégration politique de la zone euro. Cette nouvelle Europe serait configurée de la façon suivante : le premier cercle consisterait en un noyau dur resserré autour des pays fondateurs de l’UE qui auraient une unique représentation au sein l’UE et des institutions financières internationales, et un budget commun avec pour but la mise en commun de nouvelles politiques. Le second cercle composé des autres pays membres de la zone euro serait une zone économique de coopération et coordination. Les pays restants, notamment les pays de l’Est seraient réduits à une sorte de nouvelle frontière plus ou moins intégrée mais faisant partie du marché commun.
La France, repoussoir pour les élites allemandes
Pour la diplomatie française, il s’agit de continuer à hisser la France dans les hautes sphères internationales via ses deux béquilles que sont l’OTAN et l’UE. L’UE étant de plus en plus multipolaire, la France souhaite mettre en place plusieurs «marches» afin d’accéder à son contrôle: d’un côté les cercles concentriques, de l’autre le couple franco-allemand. Dans l’imaginaire de nos diplomates, l’Allemagne a abandonné toute ambition de puissance, et laisserait à la France les mains libres à l’international.
Hélas, Berlin reprend goût à jouer un rôle sur la scène mondiale, de façon certes limitée mais constante, comme en témoignent ses actions avec la Russie et la Turquie. Ensuite, et c’est peut-être le pire, l’Allemagne ne voit plus aucun intérêt à co-diriger l’UE avec la France. Si nos dirigeants politiques et économiques vouent une admiration immodérée pour notre voisin d’outre-Rhin, l’inverse n’est pas vrai. Pour les élites allemandes, la France est désormais un repoussoir. Pour ne citer qu’un exemple, notre cabinet Partenaire Europe, qui réalise notamment des opérations d’acquisition en Allemagne pour des sociétés françaises, a de plus en plus de retours de dirigeants allemands nous informant ouvertement qu’ils ne souhaitent pas perdre leur temps avec des français.
Le prétexte britannique, cheval de Troie des Etats-Unis, disparaît
Jusqu’à présent, lorsque la France proposait l’option des « cercles concentriques » à ses voisins, on lui opposait poliment l’impossibilité de le mettre en place sous prétexte que le Royaume-Uni en dynamiterait l’initiative. Et nos élites de pester contre ce cheval de Troie des Etats-Unis et du libéralisme à tout crin. Avec le Brexit, cette excuse n’est plus valable. La réalité est que l’Allemagne, les Pays-Bas, l’Autriche, et les pays de l’Est sont des pays libéraux qui ne supportent plus les dépassements budgétaires de leurs partenaires latins. Angela Merkel continue encore dans ses déclarations à accorder une priorité au couple franco-allemand, mais seulement pour ménager notre susceptibilité. Car les faits nous donnent peu de preuves: partisane d’une Europe à 26, elle s’oppose au renforcement de la Zone Euro prônée par le président Hollande, craignant de nouvelles sorties de l’Union. Ainsi les divergences économiques et politiques ne font que s’accroître un peu plus entre l’Allemagne et les pays latins. L’inverse est vrai aussi, puisque de plus en plus de pays de l’Ouest refusent de se plier à la politique d’austérité imposée par la chancelière allemande, et préfèrent se tourner vers des politiques de dépenses publiques afin de relancer leur économie.
Quelle politique pour compter à nouveau en Europe?
L’Allemagne ne voit plus aujourd’hui l’utilité de régner à deux sur l’Europe, et encore moins sur une Europe restreinte. Une question se pose alors : quel avenir pour la France dans l’échiquier politique européen ? Nous l’avons vu, le départ du Royaume-Uni qui, jusqu’ici faisait figure d’obstacle à une Europe des cercles concentriques, n’y changera sans doute rien. Le Brexit est peut-être au final, pour la France, l’occasion de se rendre compte que sa politique étrangère est désormais obsolète, dans une Union où chaque membre veut avoir son mot à dire. Comment alors recouvrir un rôle majeur au sein de l’UE sans compter sur l’Allemagne ? En mettant en place une politique d’ «endiguement» qui l’obligerait de nouveau à compter avec la France.
Se rapprocher des pays du sud et de l’Est
Cette solution serait alors, pour la France, de se rapprocher des deux cercles de pays dont elle s’éloignait jusque-là, du fait de sa passion unilatérale pour l’Allemagne : les pays d’Europe du Sud et de l’Est. Mettre en place une véritable coopération économique avec les pays latins d’Europe de l’Ouest (Italie, Espagne, Portugal) serait aisé, compte tenu de la proximité culturelle et économique de ces pays. Depuis la création de l’Union, on a vu que trop peu de rencontres et collaborations entre ces pays pourtant si proches. Quant aux pays d’Europe de l’Est (notamment le groupe Visegrad : Pologne, Hongrie, Slovaquie, République Tchèque), la France gagnerait à établir avec eux des politiques énergétiques et de sécurité communes. Le secteur de l’énergie s’annonce plein d’opportunités pour les années à venir : c’est le cas par exemple avec la Pologne, qui a annoncé son intention de construire une centrale nucléaire afin de diversifier sa production énergétique, le gouvernement polonais s’étant fixé comme objectif de mettre fin à sa dépendance au charbon.
Quant aux politiques sécuritaires, si l’on fait abstraction des « politiques déclaratoires » de chacun, celles des pays de l’Est sont dans les faits très proches de celle de la France. Pour les dirigeants des pays de l’Est, l’Union post-Brexit devra se concentrer d’abord sur les questions sécuritaires : renforcement des frontières extérieures, lutte contre l’immigration clandestine et la menace terroriste, et à terme création d’une défense commune européenne. Pour des raisons historiques évidentes, les Pays d’Europe Centrale veulent par-dessus tout éviter de se retrouver seuls face à l’Allemagne.
Depuis plus de deux cents ans le Royaume-Uni intervient en Europe afin d’éviter qu’un leader ne domine le continent. Paradoxalement, le retrait britannique de la scène européenne pourrait signifier une perte d’influence significative pour la France au profit de l’Allemagne. Il faut se rendre à l’évidence, nous n’avons que peu de choix: abdiquer, mener une politique d’endiguement de l’hégémonie allemande via des interventions actives vers les pays latins et de l’Est, ou alors faire preuve d’une véritable ambition fédérale. Cette dernière hypothèse imposerait d’arrêter de diviser les institutions européennes pour mieux régner sur l’Union, et par exemple fusionner les présidences du Conseil européen, de la Commission, du Conseil de l’UE et la fonction de Haut Représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité.