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Si les inégalités sont un sujet particulièrement prisé en France (inégalité des sexes, inégalités sociales, inégalité des chances…), celles entre les entreprises restent encore peu débattues.
Bien qu’elles soient le produit des politiques économiques de nos gouvernements successifs, elles ne semblent pas être à l’ordre du jour des débats de la présidentielle. Ces politiques ne se contentent pas d’être inégalitaires, elles sont de surcroît inefficaces : en 35 ans nous n’avons eu que 5 fois une croissance supérieure à 3%. La faible récurrence de ce chiffre finit même par amener la population à trouver cette situation normale.
Jusqu’à présent, nos hommes politiques, certes peu aidés par leur parcours, ne jurent que par de grands plans de type « gaulliens » administrant l’économie française. Hélas, à contrario des années 1960, le pouvoir politique français n’a plus les mêmes capacités d’intervention sur l’économie. Les leviers du pouvoir ne sont plus dans une seule main, mais entre de multiples organismes intergouvernementaux (BCE, OMC, FMI, Commission de Bruxelles…) Certains s’en plaindront et voudront revenir en arrière en se repliant sur nos frontières. Ce n’est ni impossible ni irréalisable. Cela implique toutefois, et il faut l’avoir présent à l’esprit, un nouveau choix de société dont il faudra accepter toutes les conséquences. À savoir, pour la partie la plus triviale, faire une croix sur certains biens : nouveaux téléphones, ordinateurs portables, et autres électroniques grand public. Une autre solution, surement plus efficiente, serait d’imiter les autres pays développés qui réussissent : faire confiance en la performance et le dynamisme d’une population éduquée : les Français.
L’exemple du CICE
Les effets des politiques économiques de nos gouvernements depuis 35 ans ont été, au mieux, neutres pour notre croissance (en générant des effets d’aubaines) et toujours négatifs pour nos comptes. La particularité des plans français est qu’ils sont inutilement très consommateurs de fonctionnaires pour les mettre en place, les gérer et les contrôler. Prenons pour exemple le dernier « remède » en date : le CICE. Ce dispositif chargé de rétablir notre compétitivité par des créances d’impôts (sur les cotisations salariales) est bien complexe pour peu de chose. Comme la majorité des mesures, il bénéficie surtout aux grandes entreprises (GE), qui disposent de l’ingénierie financière et administrative nécessaire pour optimiser ces aides.
Ainsi, 43% du CICE profite aux grandes entreprises alors qu’elles ne représentent que 33% de l’impôt sur les sociétés et 37% des employés. Ce dispositif porte à lui seul le taux réel d’imposition des grandes entreprises à 11,5%. Or plutôt que de diminuer simplement les charges, et à rebours du reste de l’Europe, on passe par une complexité administrative et coûteuse, aussi bien pour les entreprises que pour l’État. C’est la double peine pour les PME et ETI : elles payent plus de taxes et d’impôts que leurs voisins et sont obligées de consacrer plus de ressources humaines afin de s’acquitter des diverses formalités administratives. Quelle égalité y a-t-il à faire payer les PME pour subventionner les grands groupes internationaux ?
Ce sont les ETI (Entreprise de Taille Intermédiaire) qui bénéficient le moins de ce dispositif alors même qu’elles sont, outre-Rhin, le fer de lance de l’export, force de l’économie allemande. CICE, qui en plus d’être inégalitaire, bénéficie le moins aux entreprises exportatrices, comme l’indique le graphique ci-après :
Attardons-nous un peu sur l’export qui est emblématique des faillites de nos politiques économiques. En 2004, alors que la balance commerciale de la France se porte relativement bien, l’Etat décide de créer l’agence UBI France (pour You buy France – « Tu achètes France »), devenue Business France en 2015, pour aider nos entreprises à exporter. Depuis notre balance commerciale est dans le rouge, confirmant la célèbre phrase de Coluche :
« Confions la gestion du désert à des Enarques, 4 ans après, ils importent du sable ».
Cette mesure fait partie de la longue tradition française des tentatives de décréter, en fonction du moment, la compétitivité, l’export, l’emploi… Or comme l’avait prédit Etienne Vauchez, polytechnicien, l’accompagnement par le secteur public du développement international des entreprises privées est inefficient et dommageable pour l’ensemble du secteur. La mise en place d’UBI France a mis à mal tout un écosystème de plus ou moins petites entreprises indépendantes qui avaient jusqu’en 2004 porté l’exportation de nos PME. Les revenus de ces petites sociétés dépendaient exclusivement de l’efficience de leurs prestations ou des résultats de leurs clients à l’export.
A contrario, UBI France tire ses revenus de l’Etat français qui est son véritable donneur d’ordre et client. De plus l’Etat, croyant bien faire, a imposé une politique du chiffre à UBI France, l’évaluant en fonction du nombre d’entreprises accompagnées. Ceci a contraint UBI France à pousser nombre d’entreprises à aller à l’export alors qu’elles n’y étaient pas prêtes.
Une non-préparation lourde de conséquences
Cette non-préparation est synonyme d’une perte de temps considérable. En effet, ne disposant pas des personnes qualifiées, les dirigeants d’entreprise se voient obligés à effectuer eux-mêmes ces déplacements. En plus de perdre du temps dans ces voyages d’affaires, les contrats ne sont pas conclus puisque la priorité, au retour dans l’entreprise, est donnée à la gestion des problèmes intervenus en leur absence, reléguant le traitement des contacts au second plan. Ce qui, par ailleurs, a bien terni la réputation de sérieux des Français à l’étranger. En outre la quasi gratuité des services d’UBI France et son mode de fonctionnement donnent une vision faussée de l’international laissant à penser qu’il est possible de réussir avec peu de moyens financiers et humains. Si l’on regarde les politiques d’accompagnement à l’export de nos voisins on remarque un fait révélateur : moins les Etats interviennent plus leur export se porte bien.
Ainsi les pays qui ont le taux d’exportations (en % de leur PIB) le plus élevé sont ceux qui ont le moins d’employés dans leurs agences nationales de promotion à l’export. Même lorsqu’on compare les effectifs des agences par rapport à la population du pays, les classements restent les mêmes. On constate que ce sont les pays ayant le moins d’agents par habitant qui exportent le plus. En outre, et malheureusement pour nous, il semblerait que nos agents traitent moins de « clients » que leurs homologues européens si on s’en tient aux données de l’International Trade Centre.
Certes, corrélation ne veut pas dire causalité et ces graphiques ne peuvent faire office d’une étude complète sur notre politique à l’export et de l’influence d’UBI France sur cette dernière. Malgré tout, on ne peut nier qu’ils soulèvent des interrogations sur la pertinence et l’efficience des politiques mises en place.
En cherchant à maitriser les exportations et plus généralement à administrer l’économie, nos gouvernements ont, de nouveau, une guerre de retard. Au lieu de décréter la compétitivité et de nous habituer à sa performativité, l’Etat devrait se recentrer sur ce qui fait son utilité : ses tâches régaliennes et des missions d’intérêt général : assurer la santé, l’éducation et la sécurité. C’est seulement libérées du carcan imposé par l’Etat que nos entreprises pourront être compétitives. En France, ce sont entre 60 et 110 milliards de subventions diverses qui seraient octroyées aux entreprises selon des rapports parlementaires de 2013. Les recettes de l’impôt sur les sociétés s’élèvent elles à environ 32 milliards d’euros en 2015. Et si l’on annulait toutes ces subventions ? Nous pourrions avec les sommes libérées réduire l’IS à 0%. Il resterait alors près de 30 milliards (dans l’hypothèse basse) d’euros pour diminuer les charges pour les employés et les employeurs ce qui permettrait d’augmenter le pouvoir d’achat tout en diminuant les coûts de production. Autre avantage et non des moindres, nous aurions une simplification administrative sans pareille. Sans parler du message positif envoyé aux investisseurs qui créerait un appel d’air pour tous les sièges sociaux des grands groupes qui sont consommateurs de diplômés de toutes sortes et ferait reculer le chômage des jeunes. Nous réduirions aussi les dépenses publiques via la suppression des dizaines de milliers de postes de fonctionnaires, administrant ces aides et contrôlant les impôts, que nous pourrions réorienter vers des postes plus valorisants et plus utiles à la société : ceux ouverts dans l’éducation, la police ou encore le renseignement. Utopique ? Peut-être, mais le débat mérite d’être ouvert.