Article publié sur le site www.valeursactuelles.com le 1er août 2017 : lien
Pologne. A écouter la Commission européenne et lire les grands quotidiens, nous pourrions croire que la Pologne est devenue au mieux un pays autoritaire au pire une dictature. Le plus saisissant est que vous avez beau vous intéresser au sujet, prendre connaissance de tous les articles de presse ou communiqués de Bruxelles, vous ne comprenez rien à la situation. Et pour cause ils sont tous très affirmatifs et peu explicatifs.
Qui sont les acteurs en présence ?
Le paysage politique polonais est dominé par 2 partis : la PO (Plateforme civique) et le PiS (Droit et justice) qui représentent environ les 3/4 des électeurs. Ces deux partis sont issus de Solidarnosc, le syndicat qui a lutté avec succès contre le régime communiste polonais. Ils ont non seulement des clientèles électorales opposées mais aussi deux leaders qui se vouent une haine sans limite : M. Kaczynski (PiS) et M. Tusk (PO). La PO est un parti libéral, proche des milieux d’affaires (trop diront certains) rassemblant ceux pour qui la mondialisation est bénéfique. Elle serait assez proche de la République En Marche (LRM) et a permis à la Pologne de passer du stade de pays en voie de développement à celui de développé.
L’autre parti est le PiS qui est à la fois proche des Républicains américains et des gaullistes sociaux français (avec un logiciel d’avant mai 68). Le PiS est un parti qui a fait de la probité son cheval de bataille et qui fédère les milieux populaires et les laissés pour compte de la croissance polonaise. Ses deux principales figures sont deux docteurs en droit : le fondateur, M. Kaczynski et le président de la République polonaise M. Duda. En 2015 le PiS a infligé deux défaites (aux législatives et aux présidentielles) au parti de M. Tusk, la PO, minée par des affaires. M. Tusk, a 60 ans, est actuellement président du Conseil Européen et termine son mandat dans moins de deux ans. Il souhaite revenir au pouvoir en Pologne et son parti co-organise actuellement la contestation.
Dernier acteur polonais : la presse. En Pologne, les journalistes affichent leurs convictions politiques. Lorsque vous lisez, regardez un média, il vous suffit de cinq minutes pour déterminer son positionnement politique. Les médias privés sont dans leur écrasante majorité libéraux, comme la PO. Le plus emblématique : Gazeta Wyborcza est considéré dans de nombreux pays comme le journal de référence polonais. Ce quotidien, libéral comme la PO, principal opposant au gouvernement actuel, recevait lorsque la PO était au pouvoir 50% des subventions destinées à la presse, alors qu’il ne représentait même pas 20% des tirages. Pour compléter le tableau il faut savoir qu’il existe aussi un « spoil system » à l’américaine et chaque nouveau pouvoir remplace les journalistes des chaînes publiques. De nombreux journalistes vedettes ainsi licenciés se retrouvent maintenant à la tête de la contestation. Enfin il faut mentionner M. Timmermans 1er vice-président de la Commission européenne en charge du dossier polonais, qui est un homme politique néerlandais de centre gauche, social-libéral a priori « tendance LRM ».
Que se passe-t-il en Pologne ?
Le PiS applique le programme pour lequel il a été élu. Au niveau économique, le plus chahuté par la presse libérale : la mise en place d’allocations familiales. Afin de ne pas augmenter les impôts et de rester dans les critères de Maastricht, le gouvernement a, notamment, diminué les subventions aux associations et théâtres. Il a aussi aligné les retraites des agents des services de sécurité de l’ancien régime communiste, sur celles des autres polonais. Ces derniers s’étaient vu octroyer de substantielles retraites à la sortie du communisme. Pour le PiS, et de nombreux polonais, c’est notamment la branche de Solidarnosc dont est issue la PO qui en est responsable. Elle aurait accepté certains compromis avec des responsables peu ragoûtants de l’ancien régime communiste.
Le PiS pense que l’une des mamelles de la corruption et du favoritisme de l’ancien gouvernement est ce mélange d’affinités et de compromis entre anciens de Solidarnosc et communistes. Vrai ou faux, on ne peut nier que les services de sécurité communiste récoltaient de nombreuses informations sur les individus et qu’il était très tentant pour ses agents, après la chute du mur, d’utiliser ses informations comme moyen de pression. Suite à des « affaires enterrées » par des juges, le PiS a rappelé, à tort ou à raison, que la justice polonaise n’avait jamais été décommunisée. Ainsi le PiS avait pour programme de mettre à la retraite certains juges et de mettre fin à un système, plus proche d’une technocratie que d’une démocratie, où les juges se nommaient entre eux et même se jugeaient, sans intervention d’un pouvoir élu.
Or la PO avant de quitter le pouvoir a voté une loi lui permettant de désigner les 3 futurs juges du Tribunal Constitutionnel qu’aurait dû désigner la législature suivante, celle du PiS. Ce qui donnait une majorité « pro-PO » suffisante au sein du Tribunal Constitutionnel pour bloquer toute réforme. En arrivant au pouvoir le PiS a voté une loi, à la manière de PO, lui permettant de désigner ses 3 juges. S’en suit un imbroglio juridique que seul le célèbre constitutionnaliste Guy Carcassonne aurait pu régler et en aucun cas une Commission européenne constituée d’hommes politiques. A la suite de ces événements, cet été, le gouvernement décide de réformer le système judiciaire entrainant des manifestations, rassemblant beaucoup d’associations, d’élus et de militants de partis politiques. Même en étant plus que favorable à l’opposition, personne ne peut dire qu’il y avait ne serait-ce qu’1% de la population dans la rue. Surtout dans les sondages le PiS caracole toujours, seul, en tête.
Quel est le problème?
La Commission européenne emmenée par M. Timmersmans a enclenché contre Varsovie la procédure de sauvegarde de l’Etat de droit, qui selon elle, est mis en danger par les réformes judiciaires du gouvernement. Au-delà même de la question du bien-fondé de cette action, pourquoi Bruxelles menace la Pologne d’une procédure que tout le monde sait vouée à l’échec? En effet pour aller au bout de cette procédure il faut l’unanimité des Etats et la Hongrie a déjà dit qu’elle s’y opposerait. Même sans la Hongrie il est certain que les autres Etats d’Europe centrale s’y opposeraient aussi. En 2016, M. Timmersmans avait menacé d’utiliser cette même procédure contre la Pologne, sachant aussi qu’elle ne pourrait aller à son terme. Au regard de la gravité des infractions supposées, la question était : pourquoi ne pas traduire Varsovie devant la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) ? Elle ne nécessite pas l’assentiment des Etats membres, par contre elle rend des décisions juridiques et non politiques. La CJUE veille au respect par les États membres, des obligations qui découlent des traités, y compris celles issues de la Charte des droits fondamentaux qui repose, aux termes mêmes de son préambule, sur les principes de la démocratie et de l’Etat de droit.
Enfin ce 29 juillet la Commission s’est décidée à lancer la procédure d’infraction qui, in fine, permettra de saisir la CJUE. Nous étions tous impatients de connaitre les faits concrets reprochés à la Pologne. Nous avons été servis. Varsovie doit être mise au ban de l’UE et du monde civilisé car, attention sic : « Le principal point de cette loi qui préoccupe la Commission concerne la discrimination fondée sur le sexe en raison de l’introduction d’un âge de départ à la retraite différent pour les femmes juges (60 ans) et les hommes juges (65 ans).». Précisons tout de suite que ce sont les âges légaux appliqués à tous en Pologne. Désormais le doute s’installe, la Commission a-t-elle de réels griefs juridiques contre la Pologne ou uniquement des visées politiques ?
Un conflit politique polonais porté sur la scène européenne
Nombre de polonais pensent que la PO, assistée de ceux qui ont le plus perdu depuis l’arrivée au pouvoir du PiS, organise une campagne au niveau européen afin d’enlever toute légitimité au PiS de gouverner. Jusqu’à présent dans l’U.E., chaque pays faisait primer la raison d’Etat sur les oppositions partisanes nationales. Serions-nous à la veille d’un bouleversement politique majeur au sein de l’U.E. ? Assisterions-nous au déplacement des oppositions partisanes nationales sur le théâtre européen ? A la naissance d’un bipartisme européen : libéraux contre conservateurs ? Cela pourrait être une bonne nouvelle, à condition que tout le monde en ait conscience.