Article publié sur le site www.liberation.fr le 15 août 2015 : lien
La non-livraison des navires de guerre à la Russie permet à François Hollande de se repositionner clairement sur l’échiquier diplomatique en allié de l’Otan et des pays de l’est de l’UE.
François Hollande vient de confirmer la conclusion d’un accord avec la Russie pour compenser l’annulation de la livraison des Mistral. Certains commentateurs qualifient cette décision d’irresponsable et d’illisible. A notre sens, c’est tout le contraire. Bien sûr, ce sacrifice est trop important pour être considéré comme anodin, il est la confirmation de la nouvelle orientation de la politique étrangère française : profondément pro-européenne et atlantiste. Est-ce le bon pari ? Les derniers contrats d’armement signés avec la France semblent démontrer que nos positions sans équivoque et cette clarification des alliances rassurent les acheteurs.
Le président français ne l’a jamais caché, sa politique sera marquée par l’héritage de Jacques Delors. Ce dernier incarne une certaine idée de la France, pour reprendre la formule gaulliste, bien que cette idée soit éloignée de celle du fondateur de la Ve République. Mais alors que Delors proposait un numéro d’équilibriste entre un Etat souverain et une communauté européenne inspirée des projets de Jean Monnet, François Hollande privilégie la piste dudit fondateur de l’Europe moderne et rival du Général. Avec lui, la France choisit la cohérence au sein de l’Union européenne en adoptant une ligne atlantiste qui est celle de tous nos partenaires européens. Ainsi, la non-livraison des navires Mistral à la Russie est un symbole important. Il envoie d’abord le signal que la crise ukrainienne est loin d’être solutionnée, alors que l’application des accords de Minsk II constituait la condition à laquelle la France livrerait ses navires à la Russie. Par ailleurs, en rompant ainsi ses relations avec Moscou, la France démontre son attachement fort à l’Otan, et se montre solidaire avec les pays de l’est de l’UE, et notamment leur leader, la Pologne. Pour ces derniers, la seule menace réelle et immédiate n’est autre que la Russie. Il est remarquable que les stratégies des pays de l’est de l’UE et américaines face à «l’ogre russe» soient en tous points identiques. En une phrase, il s’agit de priver la Russie de toute ambition «impériale».
C’est un alignement assez inédit au sein de la politique étrangère française, qui n’avait pas encore réussi à faire le deuil du gaullisme. Il met ainsi fin à la diplomatie du fanfaron qui est menée depuis un quart de siècle. En choisissant une position claire et cohérente avec ses partenaires européens, la France avance ses pions sur l’échiquier de l’UE à un moment où l’Allemagne commence à devenir un épouvantail, pour ne pas dire plus. Cette consolidation des alliances est aussi appliquée au Moyen-Orient avec les mêmes résultats.
En plus d’aboutir enfin à une politique étrangère réfléchie, cette clarification des alliances s’avère être un succès pour la diplomatie économique : 50 hélicoptères Caracal livrés cette année par Airbus Helicopters à la Pologne, des hélicoptères H125 fournis à l’Ukraine, ainsi que des systèmes de radiocommunication tactique du groupe Thales, alors même que la France s’ouvre de nouveaux marchés, traditionnellement réservés aux Américains, livrant 23 hélicoptères Airbus à l’Arabie Saoudite, 24 Rafale au Qatar et autant à l’Egypte, qui est également acheteuse d’une frégate multimission française. Ces contrats attestent d’un renforcement des liens stratégiques avec ces pays, comme le confirme l’intérêt marqué de l’Egypte et de l’Arabie Saoudite pour le rachat des navires Mistral.
Aux gaullistes nostalgiques de la grandeur d’un pays comme le nôtre – qui ne pèse dorénavant plus que 0,8 % de la population mondiale -, il convient de remettre ce changement de politique dans le contexte du XXIe siècle. Après la chute du mur de Berlin, nous pouvions nous permettre un gaullisme de postures sans autre conséquence que de nous faire railler par de nombreuses nations. Désormais, face à des pays belliqueux tels que la Russie ou l’Iran, mais surtout la Chine, qui défend un modèle antidémocratique et constitue le futur leader mondial, peut-on continuer à conforter les caricatures du Français hautain et pacifiste ?
Paradoxalement, nous pouvons trouver des reproches à faire au Président. Ce revirement majeur dans la diplomatie de la Ve République n’a été le fruit d’aucun débat. Il s’agit tout de même de la place de la France dans le monde. Le général de Gaulle, s’il promouvait une politique pacifique, n’était pas un pacifiste. Il bénéficiait encore du poids et du prestige de l’ex-Empire français pour asseoir l’indépendance de notre pays, mais il s’agit d’une époque révolue. Aujourd’hui, notamment du fait de ses politiques migratoires vexatoires, la France se prive de ses soutiens et d’une ambition mondiale, elle choisit donc de peser au sein de l’UE et de l’Otan. Il existe une alternative à être un auxiliaire (quoiqu’important) de l’Otan : nous pourrions de nouveau être l’allié des Etats-Unis à position égale. Pour ce faire, il faudrait redevenir un leader incontesté et incontestable de l’espace francophone. Cette politique a priori gaullienne nécessiterait une approche totalement différente avec les pays francophones, notamment d’Afrique. Nul ne peut dire si le peuple français serait prêt à porter cette politique, par contre il est certain que les dirigeants de l’opposition ne le sont pas. Ainsi, et hélas pour le débat démocratique, s’il existe une alternative à la politique étrangère de François Hollande, il n’y a personne pour l’incarner.