Post published on the website www.lesechos.fr on the 20th of April 2018 : link
L’Etat polonais aimerait se doter de sous-marins pour asseoir sa souveraineté, mais le pays hésite encore entre la France, l’Allemagne et la Suède pour passer commande.
Le 5 avril 2018, Jacek Czaputowicz, ministre des Affaires étrangères polonais, rencontrait son homologue français Jean-Yves Le Drian. La France étant actuellement en compétition avec l’Allemagne et la Suède pour vendre des sous-marins à la Pologne, et même si l’ordre du jour officiel ne le contenait pas, ce sujet a dû être abordé.
En tout cas, c’est ce que la logique voudrait au regard des capacités hors pair de Jean-Yves Le Drian à signer des contrats d’armement lorsqu’il était ministre de la Défense de François Hollande. Rappelons toutefois que Jean-Yves Le Drian avait très mal pris la décision du pouvoir politique polonais actuel d’annuler le contrat des hélicoptères Caracal.
On peut s’interroger sur la volonté du ministre français de conclure un partenariat.
Il est par ailleurs assez révélateur que Jean-Yves Le Drian, reconnu pour être un homme de dialogue, ait tenu dernièrement des propos peu amènes sur la politique du gouvernement polonais. On ne peut s’empêcher de relever que cette rencontre était précédée de deux interviews simultanées : l’une de Jacek Czaputowicz à l’AFP et l’autre dans le journal polonais Rzeczpospolita, non pas de Jean-Yves Le Drian, mais de François Hollande.
Aussi peut-on s’interroger sur la volonté réelle du ministre français de conclure un tel partenariat. Les Allemands, eux, semblent prêts à remporter ce contrat à n’importe quel prix.
L’importance de la mer
Depuis l’incendie du sous-marin polonais Orzel, datant de l’URSS, Varsovie n’a quasiment plus de capacités sous-marines, en dehors de quatre sous-marins norvégiens vétustes, fabriqués dans les années soixante, dont un, l’ORP Sokol, semble être en cours de désarmement.
La Pologne est un Etat ambitieux qui veut jouer un rôle important au sein de l’Otan et en Europe. Dans ces conditions, elle peut difficilement rester sans submersibles alors que l’espace sous-marin apparaît comme un espace stratégique des prochaines années
On parle souvent de la vulnérabilité de nos sociétés du fait de leur dépendance aux satellites, mais 95 % des communications se font via les câbles sous-marins. Or la Russie, qui est la seule menace existentielle pour la Pologne, dispose d’un savoir-faire important dans le domaine.
Aujourd’hui, Moscou modernise à grande vitesse sa flotte de sous-marins et on peut s’interroger sur sa volonté de transformer la mer Baltique, comme elle l’a fait avec la mer Noire, en mer russe.
L’essentiel des richesses mondiales circule encore et toujours par la mer.
Nous avons tous en tête l’utilisation des sous-marins lors des deux premières guerres mondiales afin de couper les flux d’approvisionnements entre Alliés.
L’importance d’occuper l’espace maritime et sous-marin est toujours d’actualité car l’essentiel des richesses mondiales circule encore et toujours par la mer.
La souveraineté polonaise en jeu
Mais l’utilité du sous-marin ne s’arrête plus là. Lorsque vous conjuguez la capacité de certains sous-marins à lancer des missiles guidés avec le fait qu’ils sont quasi indétectables, vous obtenez une arme de dissuasion très efficace.
Elle permet à un Etat la possédant de garantir à ses ennemis une réplique, quelle que soit l’ampleur des destructions qu’il lui aura fait subir auparavant.
Le système d’arme intégré proposé par les Français permet, comme l’avait souligné l’ancien ministre de la Défense polonais, Antoni Macierewicz, « de faire comprendre à l’adversaire potentiel qu’il ne peut pas nous attaquer en toute impunité ». En effet, les missiles français permettent de frapper des cibles stratégiques avec une grande précision jusqu’à 1.000 kilomètres, tout en restant en haute mer et en toute sécurité.
Les Allemands ne sont pas en capacité de proposer un tel système intégré. Les Suédois disent pouvoir le proposer via le futur sous-marin A26. Mais contrairement aux Français, ce sous-marin A26 n’existe pas encore.
Lorsqu’on connaît la complexité d’une arme comme les sous-marins, les risques de retards sont importants et réels. Or, la Pologne n’a quasiment plus de capacité sous-marine opérationnelle et ne peut se permette d’attendre.
De plus, les missiles proposés par les Suédois sont des Tomahawks américains dont l’utilisation n’est pas autonome, ils ne peuvent être utilisés contre la volonté des Américains. Le système français leur offre une autonomie d’utilisation complète. Ainsi les sous-marins français apparaissent comme le meilleur outil de la souveraineté polonaise.
Une question éminemment politique
Le problème pour Varsovie est l’attitude de Paris à son égard. Fin 2017, la Pologne était très proche de finaliser son appel d’offres pour choisir au premier semestre 2018, selon toute vraisemblance, entre les Suédois et les Français.
Mais Varsovie reporta son choix aux calendes grecques lorsque l’Union européenne déclencha, avec le soutien total de Paris, l’article 7 du Traité de Lisbonne contre elle [procédure politique qui vise un Etat qui aurait violé les principes fondamentaux de l’UE, NDLR]. Ce qui peut laisser supposer du choix final. Bien que les autorités polonaises, depuis la nomination de son nouveau Premier ministre, ne cessent de faire des appels du pied à Paris, cette dernière reste sourde à ces avances
Par contre les Allemands ont lancé, depuis peu, une campagne de séduction auprès de Varsovie. Les Suédois, eux, ont l’avantage d’être, depuis toujours, sur la même longueur d’onde que les Polonais vis-à-vis de la Russie.
Le choix de l’achat des sous-marins ne se fera pas uniquement sur des critères techniques mais aussi sur des questions éminemment politiques et des propositions de partenariats stratégiques. Aussi, si nous souhaitons remporter ce contrat, nous devrions faire attention à ne pas nous faire désirer trop longtemps.
Patrick Edery est le PDG de Partenaire Europe, cabinet de conseil en développement qui accompagne les dirigeants d’entreprises de leurs réflexions stratégiques à leur déploiement en Europe centrale