Post published on the website www.la-croix.com on the 6th of October 2016 : link
Patrick EDERY est le PDG de Partenaire Europe, cabinet de conseil en développement qui accompagne les dirigeants d’entreprises de leur réflexion stratégique à l’implantation en Europe de leurs entreprises. Il nous propose un éclairage sur les événements en Pologne et notamment sur le jeu d’influence entre Donald Tusk, président du Conseil européen, et Jarosław Kaczynski, chef du parti au pouvoir
Depuis plus de 10 ans, la Pologne mène avec brio son développement économique et continue, via notamment la politique mise en œuvre par le nouveau gouvernement conservateur, à enchaîner les bons résultats. Et ce, malgré l’acharnement des amis politiques de Donald Tusk (ancien premier ministre polonais, jusqu’à sa nomination à la présidence du Conseil européen), à délégitimer l’action du gouvernement en place.
Les bonnes prévisions économiques : 3 % de croissance annuelle pour 2016 et 2017 et moins de 8 % de chômage, s’expliquent notamment par la politique de la demande incarnée par l’allocation familiale, inédite en Pologne, qui offre 120 € par mois et par enfant. En effet le parti au pouvoir a modéré la politique de l’offre soutenue par l’ancien gouvernement de Donald Tusk, qui commençait à s’essouffler. Surtout, la pérennité de la réussite polonaise est assurée par le renouvellement de la lutte contre la corruption menée par le PiS.
La scène politique polonaise est dominée par deux acteurs de droite représentant plus de 75 % des suffrages : le PiS et la PO.
Le premier appartiendrait en France à la mouvance du gaullisme social avec un logiciel datant des années 1960 et dont les leaders, des universitaires, font de la probité en politique leur cheval de bataille, quitte parfois à friser l’incompétence (comme dans le cadre des nominations au Tribunal Constitutionnel). Le second est un parti libéral comme nous n’en connaissons pas en France.
Campagne de dénigrement
La PO a su réformer la Pologne, la menant de pays émergent à celui de développé, et jouit d’une réelle proximité avec les entreprises. Ces deux partis sont les derniers héritiers du syndicat Solidarnosc, dont les fondateurs sont eux-mêmes issus du mouvement de Lech Walesa : Jarosław Kaczynski (pour le PiS) et DonaldTusk (pour la PO). Ces derniers se vouent une haine sans limite. À la suite des dernières élections de 2015, le PiS a battu son rival la PO en lui ravissant à la fois le parlement et la présidence. La PO, mauvaise perdante, a exporté, chose inédite, ce conflit politique national sur le théâtre européen, en dépeignant son ennemi de toujours comme liberticide et anti-européen.
Cette grande campagne de dénigrement est arrivée à son apogée lorsque l’AFP et d’autres agences de presse ont fait état d’une manifestation anti-PiS à Varsovie, réunissant près d’un quart de million de participants. Ces chiffres, propagés par la maire de Varsovie, vice-secrétaire de la PO, ont été repris également par Gazeta Wyborcza, principal journal d’opposition. Face au scandale soulevé en Pologne par ces données faussées, une enquête a démontré que l’on pouvait compter ce jour-là entre 45 et 65 000 personnes présentes sur les lieux de la manifestation, parmi lesquelles, selon des observateurs, des touristes. La maire de Varsovie et ce journal défraient désormais la chronique. La première pour des soupçons de favoritisme au bénéfice de ses proches lors de la reprivatisation de terrains dans la capitale. Le second, principal instrument de la fronde contre le PiS, est le quotidien le plus proche de la PO. Il avait bénéficié sous le gouvernement libéral de plus de 50 % des fonds publics alloués aux journaux nationaux, alors même qu’il n’atteignait pas les 20 % de tirages, loin derrière le tabloïd Fakt. C’est là que le bât blesse, car l’intense lutte pour la dé-légitimation du PiS doit aussi s’analyser au regard de la menace que faisait planer l’arrivée au pouvoir des conservateurs sur les petits arrangements, peu ragoûtants, d’un certain écosystème. En Pologne nul n’ignorait que l’arrivée du PiS au pouvoir serait synonyme d’une lutte vigoureuse contre la corruption.
Plus de marge de manœuvre budgétaire
Les Polonais sont très attachés au libéralisme qui est pour eux une valeur étroitement liée à la démocratie. Or ce qui est au fondement de cette doctrine, à savoir l’État de droit et son corollaire, la transparence, commençait doucement à s’éroder, par une histoire somme toute banale, celle de l’œuvre du temps sur les hommes de pouvoir. La PO, qui est restée 8 ans à la tête de l’État, a progressivement accordé des privilèges à ses proches. Sa proximité avec le monde des affaires qui était au début un atout s’est dévoyée. Il existait un danger que la PO anémie le libéralisme polonais. Danger a priori écarté. Les conservateurs, n’ayant plus de marge de manœuvre budgétaire, n’ont d’autres choix que de placer leurs mandats dans un engagement contre la corruption. En effet, la politique de la demande a fait bondir le déficit à 3,2 %, provoquant une levée de bouclier et persuadant le gouvernement de stopper ses dépenses publiques. De plus, c’est la PO qui a négocié, lors de la précédente législature avec l’Europe, la nouvelle période de programmation européenne et qui a mis en place les plans de développement jusqu’en 2020, ne donnant que très peu de latitude à son rival. Finalement, en Pologne, tout change pour que rien ne change et que le pays reste un modèle de réussite économique en Europe.