Post published on the website www.lesechos.fr on the 11th of May 2015 : link
Désormais premier pays bénéficiaire de fonds européens, la Pologne recevra 82,5 milliards d’euros entre 2014 et 2020, soit l’équivalent de son budget annuel. L’économie polonaise serait-elle dopée par fonds européens ?
Bien que disposant de moins de pouvoir que leurs homologues français, chaque Président polonais depuis la fin du communisme est associé à une avancée majeure pour le pays. L. Walesa, figure de proue de la dissidence, a permis à la Pologne de passer d’un régime autoritaire à une démocratie libérale. A. Kwasniewski a fait entrer le pays dans l’OTAN puis dans l’Union européenne. L. Kaczynski a combattu la corruption. À l’heure des élections présidentielles, on s’interroge sur le legs du président sortant B. Komorowski. S’agirait-il des fonds européens ?
Entre 2007 et 2013, le pays a bénéficié de 81,5 milliards d’euros. Désormais premier pays percepteur de fonds européens devant l’Espagne et la France, la Pologne recevra 82,5 milliards d’euros entre 2014 et 2020. Distribué certes sur six ans, un tel montant dépasse le budget annuel de l’État polonais de 80,2 milliards d’euros en 2014. Si la dotation française était calculée proportionnellement à celle de la Pologne, la France recevrait près de 220 milliards d’euros. En réalité, elle bénéficiera de 27 milliards.
En quoi les fonds européens ont-ils dopé l’économie polonaise ?
1) Une consommation effrénée des fonds européens ?
Avec l’accord de la Commission, la Pologne destinera les fonds aux infrastructures et à l’environnement (27,5 mds), au développement intelligent (8,6 mds), aux sciences et à l’éducation (4,5 mds), au développement des régions frontalières de l’Est (2 mds), au numérique (2 mds). Les fonds restants seront distribués via des programmes régionaux.
Conseiller technique pour le Nord-Pas-de-Calais en Silésie entre 2002 et 2007, j’ai pu mesurer l’importance de ces fonds pour la Pologne ainsi que la différence considérable entre nos deux administrations. Les fonds européens sont au carrefour de toute politique en Pologne. À Katowice, les dossiers nécessitaient systématiquement l’avis de la Direction Europe de la région et ne pouvaient être validés que s’ils étaient financés par des fonds européens, ce qui n’était pas le cas à Lille, où la Direction Europe était plus une option pour les services qu’une obligation.
Le parcours exceptionnel de l’actuelle Commissaire E. Bienkowska est également très éloquent. Directrice extrêmement compétente de la Direction Europe de Silésie lorsque j’y travaillais, elle a ensuite été nommée ministre, puis Vice-Premier ministre avant de devenir Commissaire, le tout en seulement sept ans !
2) Une industrie body-buildée ?
Les gouvernements polonais, y compris sous le régime communiste, ont toujours eu le souci de l’industrie. La répartition des fonds européens a donc été pensée pour développer la machine industrielle.
Deux grands axes ressortent des programmes : la recherche et le développement d’une part, permettant aux entreprises d’améliorer leurs équipements et de financer de grandes lignes de production, la modernisation des infrastructures d’autre part, relançant l’activité de milliers d’entreprises polonaises. Depuis 2002, la part de l’industrie dans le PIB n’a cessé d’augmenter, dépassant aujourd’hui les 33 %.
Afin d’obtenir les fonds européens entre 2007 et 2013, les entreprises présentaient des business plans très ambitieux. De nombreuses entreprises ont obtenu ces fonds et se sont retrouvées au même moment avec des moyens de production surdimensionnés, aussi se sont-elles livrées une rude concurrence sur le marché national ainsi qu’une guerre des prix.
3) Surcapacité de production : la nécessité d’exporter
Une telle relance de la machine industrielle a placé l’économie polonaise en surcapacité productive. Aujourd’hui par exemple, la Pologne est en mesure de produire 15 millions de fenêtres par an, alors que le marché intérieur n’est que de 6 millions de fenêtres.
Le défi des entreprises est alors d’exporter les productions, seul moyen de réaliser leurs marges. Si les entreprises qui n’ont pas su mener à bien leur développement à l’international ont périclité, d’autres ont cru de manière exponentielle et comptent aujourd’hui parmi les géants européens. C’est le cas d’Oknoplast, fabricant de fenêtres, dont on voit apparaître le logotype sur les maillots de l’Inter Milan, de Borussia Dortmund ou de l’Olympique Lyonnais.
Les fonds européens ont de manière générale été très favorables à l’économie polonaise. Entre 2007 et 2014, la valeur des exportations a doublé. Après avoir connu une croissance moyenne de 4,1 % entre 2003 et 2013, le pays a enregistré une croissance de 3,4 % en 2014 et les prévisions pour l’année 2015 sont similaires.
Quant à savoir si ces fonds européens ont un effet de bulle comme en Espagne avec la construction et le tourisme avant la crise, les prochaines années nous le diront, mais cela semble peu probable. Les fonds investis dans la relance de l’industrie et dans sa modernisation ne seront jamais perdus, et il semblerait que les fonds européens aient encore de beaux jours devant eux.